Haïti tenaillée par des crises en répétition sur des décennies

Haïti fait face à une crise de société depuis plusieurs décennies.Le 7 février 1986 marque la fin du régime dictatorial des Duvalier en Haïti à travers un soulèvement populaire mené par les élites intellectuelles, économiques, et une frange de la classe moyenne privilégiée haitienne. Depuis lors, soit environ 4 décennies, Haïti fait face à une grave crise qui se caractérise par une instabilité sociale, politique, économique et une extrême pauvreté frappant la majorité de la population.
En effet, cette crise se caractérise par le conflit des intérêts de tous les acteurs sociaux du pays provoquant de perpétuelles turbulences dans le pays. Ces turbulences se présentent sous plusieurs formes donc l’État se trouve dans de grandes difficultés pour remplir ses fonctions régaliennes.
Toutefois, la révolte du 7 février 1986 qui a abouti au départ des Duvalier, n’avait pas comme unique objectif le renversement d’une dictature, mais aussi une rupture à l’ordre social, économique et politique de l’époque construite sur des valeurs différentes de celle prônée par le premier chef d’État et empereur d’Haiti, Jean Jacques DESSALINES. Cette révolte avait charrié tout un ensemble de revendications et frustrations qui vont faire naître un État démocratique.
La proclamation de l’indépendance d’Haiti le 1er janvier 1804, fait naître un État donc le chef n’a pas toléré les rapport de prédateurs et il s’est fait admettre par la force qu’il impose aux prétentions antagonistes qui s’opposent en son sein même. Ses gens issus en grande partie des grands propriétaires terriens et des hauts dignitaires de l’armée indigènes, ils se sont constitués une sorte de « petite bourgeoisie » qui confisque toutes les ressources du pays dans l’unique objectif de satisfaire leurs ventres et leurs bas-ventres. D’où l’État est devenu une vache à lait, une source de richesse pour un individu ou un groupe d’individus arrivant même à s’accaparer du pouvoir politique par des manœuvres violentes en instaurant un régime sans partage au détriment de la majorité.
De plus, les acteurs sociaux, politiques, économiques et religieux qui ont contribué à l’indépendance jusqu’au début du siècle dans lequel nous vivons se sont enfoncés dans des guerres intestines pour la prise et la consolidation du pouvoir qui, en quelque sorte, freinent le processus de développement du pays et aussi sa capacité à instaurer un véritable État (institutionnel)capable de remplir grandement ses fonctions.
Cette situation ne date pas d’hier, elle n’est pas survenue non plus immédiatement à la chute des Duvalier, le 7 février 1986. D’abord, essayons de définir le concept de crise : « un événement social ou personnel qui se caractérise par un paroxysme des souffrances, des contradictions ou des incertitudes, pouvant produire des explosions de violences ou de révoltes ».
Toutefois, renverser un régime politique dictatorial comme celui des Duvalier, amplifie automatiquement cette crise vieille de plusieurs années. Le peuple haïtien depuis tantôt 4 décennies vit dans une crise globale et constante, de cette situation naît des « sous- crises ». Cela revient à dire à l’intérieur de la crise globale apparaissent des sous-crises qui se manifestent à leur tour sous diverses formes :
Une crise sociale qui se caracterise par la division du tissu social où les gens ne peuvent pas se mettre ensemble pour le bien commun.
Crise politique : manifestée par des conflits violents pour la prise et la consolidation du pouvoir.
crise d’État: Caractérisée par le mauvais fonctionnement des institutions étatiques entraînant une dysgouvernance, concept utilisé pour la première fois par l’éminent politologue haïtien, Docteur Gracien JEAN.
Crise de gouvernance caractérisée par la mauvaise gestion des choses publiques, le népotisme etc. Sans oublier le désespoir des citoyens dans les institutions étatiques et
et enfin une crise économique qui se caractérise par la dérégulation du marché financier ayant pour de graves conséquences l’inflation et l’extrême pauvreté dans le pays. Dans les sociétés comme la nôtre, frappées par ces types de crises, des conflits acharnés pour la prise et la consolidation, le chaos est inévitable.
En général, une crise de société n’est pas un instant isolé, mais elle s’inscrit dans les aspects politiques, économiques, sociaux et géopolitiques.
Ainsi, cette situation de crise de toutes sortes que nous vivons aujourd’hui en Haïti est la décomposition qui peut déboucher même sur l’entropie de la société.
Par conséquent, l’instabilité que connaît le pays depuis le renversement du régime des Duvalier jusqu’aujourd’hui, est la manifestation concrète de l’irresponsabilité de nos élites. Aujourd’hui, il serait important de profiter de cette situation pour passer d’un modèle social et étatique inefficace, injuste et incapable de répondre aux besoins des populations, inaptes à assurer l’arbitrage des contradictions opposant les différentes classes sociales, à faciliter la cohésion sociale, à catalyser le progrès économique, à un autre modèle de société et d’État que les élites du pays doivent en assurer l’avènement.
Me. Jean Wilbert JEAN, avocat, magistère ès management Université Montpellier, France; Masterant chercheur en Sciences Po. Specialiste en gouvernance de l’Etat.
INNOVA NEWS